Nini Je squatte!
Nombre de messages : 2685 Age : 48 Localisation : Aveyron, Midi-Pyrénées Pays : France Emploi : Au Gré Du Vent.... Commentaires : Obligatoire, obligatoire.... Bien joli, tout ça... Mais pour dire quoi ?! Qu'on est insupportable, passionnée, et "avec un sacré carafon" ?! Hein ?! Quoi dire ?! Date d'inscription : 23/05/2007
| Sujet: Sarkozy et Mai 1968 ! Mer 19 Déc - 19:38 | |
| FRANCE • L’esprit de Mai résistera à Sarkozy |
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Le nouveau président entend refermer la parenthèse de 1968 et restaurer les valeurs d’autoritéet d’ordre. Des valeurs que le printemps français a définitivement battues en brèche. |
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Nicolas Sarkozy, la nouvelle étoile resplendissante de la droite européenne, a choisi de faire du dépassement définitif du mouvement de Mai 68 un thème central de sa campagne électorale. Il faut croire que 1968 bouge encore et que, quarante ans après, son spectre hante toujours les esprits. En tout cas, les néoconservateurs européens en sont convaincus : la décadence de nos sociétés, et en particulier de la société française, s’explique par la remise en question de l’autorité et de la tradition, ainsi que par la critique de valeurs fondamentales telles que l’éthique de l’effort, la famille patriarcale, la discipline scolaire, la patrie éternelle et le christianisme officiel. Sarkozy a raison au moins sur un point. Les valeurs de Mai 68 ont dissous les fondements idéologiques traditionnels de la société française, et je dirais même de bien d’autres sociétés dans le monde. Mais quelles étaient donc ces contre-valeurs et d’où venait leur force ? Ayant moi-même vécu le mouvement de mai à Paris (j’ai été à la fois le professeur de Daniel Cohn-Bendit et l’un de ses partisans), je peux apporter mes observations. Le Mai 68 français a été avant tout un mouvement libertaire qui refusait toute étiquette, dont celle de l’anarchisme, car la majorité des centaines de milliers de personnes qui y ont participé, à différents niveaux, n’avaient ni idéologie définie ni appartenance politique. Bien entendu, le mouvement était aussi anticommuniste qu’anticapitaliste (les étudiants communistes qualifiaient les révolutionnaires de l’université de Nanterre d’aventuristes petits-bourgeois, et ces derniers réagissaient en cognant sur les communistes). Et même si les maoïstes, les trotskistes et les anarchistes essayaient de placer leurs drapeaux en tête de l’insurrection, ils furent à maintes reprises débordés et ignorés par la marée humaine qui pendant plus d’un mois avait envahi les rues, les facultés et les lieux de travail. Que faisaient-ils et que voulaient-ils ? Tout et rien. Ils voulaient tout changer, mais pour savoir comment faire ils se réunissaient et discutaient toute la journée (la nuit étant réservée à la libération sexuelle). Naturellement, sans parvenir au moindre accord ni à la moindre décision. On a beaucoup parlé des grandes assemblées permanentes de la Sorbonne ou du théâtre de l’Odéon. Mais tout cela, c’était du spectacle. Là où s’est produite la vraie transformation, c’est dans les milliers d’assemblées générales qui se tenaient dans les facultés, les lycées, les entreprises, les administrations, les salles de rédaction – bref, dans tous les espaces de la vie quotidienne, y compris en famille, où les enfants discutaient avec leurs parents, et dans les chambres à coucher, où les femmes commencèrent à tenir tête à leur mari. Lors de ces réunions, ils purent se dirent les uns aux autres, et surtout à leurs chefs, ce qu’ils n’avaient jamais osé dire en face et ils proposèrent de nouvelles manières de travailler et de vivre ensemble, des plus utopiques aux plus concrètes. Et, bien sûr, comme tout le monde discutait, personne n’avait le temps de travailler : il y eut donc une grève générale pendant près d’un mois. Non pas tant parce qu’on avait envie de faire grève que parce qu’il y avait des choses plus importantes à faire, comme de réinventer le monde, à commencer par le monde du travail. Mais l’essentiel, comme l’a bien compris Nicolas Sarkozy, a été le rejet du principe d’autorité, du c’est-moi-qui-commande, et aussi le rejet de la discipline des institutions, invoquée avec la conscience tranquille sous prétexte qu’elle émane de gouvernements démocratiquement élus. Ce qui revenait à affirmer qu’une fois que l’électeur avait déposé son bulletin dans l’urne il devait se taire et obéir à celui qui avait été désigné par la majorité électorale, jusqu’à la prochaine occasion de choisir entre les deux ou trois plats du menu. Comme si le sens de la vie pouvait se résumer à une échéance électorale. Mais le nouveau président de la France éternelle se trompe sur un point. Il s’imagine que son mandat marque la fin de l’époque inaugurée par Mai 68. C’est ce qu’avait cru de Gaulle, qui remporta avec une majorité encore plus large les législatives de juin 1968, en en appelant au vote de la peur. Un an plus tard, l’électorat l’envoyait à la retraite et, douze ans après, son ennemi acharné, François Mitterrand, entamait ses quatorze années de présidence en manipulant habilement une aspiration au changement social à laquelle il ne crut jamais lui-même. Car, enfin, la révolution de Mai 68 fut culturelle, et non politique. Elle ne briguait pas le pouvoir, elle cherchait à le dissoudre. Elle a conquis les esprits, pas les bureaucraties. Et, en dernière analyse, ce sont les esprits, c’est-à-dire nous, qui décidons de notre destin. Autant dire que Sarkozy a raison sur l’essentiel : ce sont bien les valeurs qui régissent la société. En revanche, on voit mal comment des mesures d’autorité fondées sur la peur de l’inconnu pourraient rétablir les valeurs éternelles que le vent de Mai a balayées. Un mois de mai où il faisait bon vivre.
* Cet ancien soixante-huitard espagnol enseigne depuis 1979 la sociologie à l’université de Californie à Berkeley. La Galaxie Internet (Fayard, 2002) est son dernier livre paru en français. |
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Manuel Castells* La Vanguardia |
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